Droits de douane : des menaces qui ont mis l’économie sur pause

La Presse Canadienne | 29 décembre 2025 | 14:37
Dans son ensemble, l’économie québécoise semble avoir évité le pire en 2025. Le président américain, Donald Trump, tient un décret lors d’un évènement visant à annoncer des droits de douane le 2 avril 2025 à Washington. (AP Photo/Evan Vucci)

Les menaces économiques du président américain, Donald Trump, ont-elles fait plus de peur que de mal? Dans son ensemble, l’économie québécoise semble avoir évité le pire, mais certains secteurs ont été plus durement touchés.

L’économiste du Mouvement Desjardins, Sonny Scarfone, donne l’image d’une personne qui aurait fermé les yeux avant l’élection du président républicain pour se réveiller à la fin de l’année. 

«Quand on regarde plusieurs indicateurs, on ne dirait pas que ça a été la plus rapide hausse de tarifs douaniers de notre principal partenaire économique depuis plus de 80 ans», constate-t-il en entrevue. 

Environ 86 % des exportations canadiennes sont exemptées de droits de douane parce qu’elles sont conformes à l’accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM). 

L’économiste estime que le droit de douane effectif sur l’économie québécoise avoisine les 6,3 %. En début d’année, on craignait l’imposition d’une taxe de 25 % sur tous les produits canadiens. 

Le Québec se retrouve ainsi dans une posture avantageuse par rapport à d’autres partenaires commerciaux qui ont signé des ententes avec les États-Unis. C’est le cas de l’Union européenne et du Japon, qui ont accepté une taxe de 15 %. 

Le Québec est plus pénalisé que la moyenne canadienne, dont le taux effectif est estimé à 3,8 %.

L’importance du secteur de l’aluminium québécois explique en partie cet écart, tandis que le pétrole et le gaz albertains sont exemptés. «Quand tu ajoutes un tarif de 50 % sur un neuvième de tes exportations vers ton destinataire principal, ça vient peser sur la moyenne», explique M. Scarfone.

Le Québec s’en tire un peu mieux que l’Ontario, une économie plus comparable. L’industrie automobile pèse lourd dans les exportations de la plus populeuse province, précise M. Scarfone. 

Une incertitude paralysante

Si le pire semble avoir été évité, le conflit commercial n’a pas été sans douleur pour les entreprises québécoises, nuance la présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), Véronique Proulx.

«C’est surtout l’incertitude qui fait très mal à nos entreprises et à notre économie, souligne-t-elle. On le voit avec l’investissement qui est sur pause.»

«Ce qui a fait le plus mal à l’économie, c’est le fait que tout le monde soit en attente et mette leur projet d’investissement sur pause, que ce soit des agrandissements ici au Québec, des investissements en technologie, des investissements pour diversifier leurs marchés d’exportation», ajoute-t-elle. 

Au fil de ses discussions avec des dirigeants dans toutes les régions du Québec, Mme Proulx voit des signes d’une reprise des activités. «C’est un point qui ressort : on sent tranquillement que ça reprend. C’est comme si on commençait à s’habituer à l’incertitude, qu’on recommence à planifier.»

La guerre commerciale n’est pas nécessairement la principale préoccupation des entrepreneurs, selon elle. La rareté de main-d’œuvre et les resserrements en immigration leur causent bien des soucis. «C’est la première chose dont on nous parle quand on se déplace en région.»

Aluminium : un coup dur pour les PME

Les grandes alumineries qui ont des usines au Québec, comme Alcoa et Rio Tinto, sortent relativement épargnées de la crise, malgré les droits de douane sectoriels de 50 % sur leurs produits.

Les États-Unis ne produisent pas suffisamment d’aluminium pour répondre à la demande. De plus, les droits de douane sectoriels ont été imposés à tous les pays, ce qui fait que le Québec se retrouve sur un pied d’égalité avec les autres exportateurs.  

Les États-Unis ne pourraient tout simplement pas bouder l’aluminium canadien, avait indiqué le patron d’Alcoa, William Oplinger, lors d’une discussion avec les analystes financiers en avril. 

«Il faudrait au moins cinq à six fonderies pour répondre à la demande, avait-il dit. Ces nouvelles fonderies nécessiteraient une production d’énergie additionnelle équivalente à sept réacteurs nucléaires ou 10 fois le barrage Hoover. Tant que la capacité de production n’est pas construite aux États-Unis, la façon la plus efficace de s’approvisionner est par le Canada.»

La situation est plus difficile pour les transformateurs québécois, qui n’ont pas nécessairement le gros bout du bâton, contrairement aux alumineries. 

Ces PME ont moins attiré l’attention, mais elles représentent tout de même 1700 entreprises. «On compte 40 000 emplois dans l’industrie de l’aluminium au Québec, dont 30 000 qui sont dans des PME en transformation, souligne la présidente-directrice générale d’AluQuébec, Charlotte Laramée. Donc, c’est quand même majeur.»

Les transformateurs doivent composer avec une augmentation du prix de leurs intrants. Les droits de douane amènent également le risque de perdre des contrats aux États-Unis. «C’est vraiment une pression financière qui est constante», déplore Mme Laramée.

Remplir la paperasse demandée par les douanes américaines est un tracas administratif coûteux et chronophage. «Les PME doivent maintenant investir dans des personnes dédiées à gérer toutes les exigences documentaires, à faire le suivi des codes, à s’assurer d’être conforme au niveau des règles douanières, énumère-t-elle. C’est aussi plus de frais d’avocats

Elle cite un membre qui lui a dit que son budget annuel consacré à l’administration de la paperasse liée aux douanes était passé «de 0$ à 200 000 $». «Tout ça pour quelque chose qui n’apporte pas de valeur ajoutée», dénonce Mme Laramée. 

Industrie forestière : une reprise au printemps?

Habitué aux litiges commerciaux avec les États-Unis, l’industrie forestière est frappée par des droits de douane cumulatifs de 45 %.

La crise a donné un dur coup. Les annonces de fermetures temporaires se sont multipliées. 

L’économiste en chef du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), Michel Vincent, entrevoit toutefois l’année 2026 avec un certain optimisme. L’aide gouvernementale a aidé l’industrie «à se rendre jusqu’au printemps». 

Les Européens ont profité du litige pour vendre leurs bois aux Américains, mais cette offensive ne pourra pas continuer alors que la demande intérieure devrait augmenter sur le Vieux Continent, croit l’économiste. 

En même temps, l’appétit des Américains devrait, lui aussi, reprendre du tonus. «On voit une augmentation de la demande qui va venir de la baisse des taux d’intérêt, croit l’expert. C’est une question de temps.»

Les entreprises américaines n’auront pas le choix de s’approvisionner sur le marché canadien, selon lui. «L’autosuffisance en bois d’œuvre aux États-Unis, c’est inatteignable et ça n’arrivera jamais. »

«Le bois canadien va être le bienvenu, prévoit-il. Ils vont l’acheter et on va être en mesure de leur refiler la facture.»